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Iran : « Oui, je porte des jeans, monsieur Netanyahou »

C’était pour le Premier ministre israélien l’occasion rêvée de s’adresser au peuple iranien. Échaudé par la récente ouverture d’Hassan Rohani en direction de l’Occident, Benyamin Netanyahou a choisi la BBC Persian pour témoigner de son amitié envers le peuple iranien et lui expliquer pourquoi le nouveau président de la République islamique n’était qu’un « loup déguisé en mouton ». Mais en voulant faire preuve de bienveillance, le chef du gouvernement israélien a en fait dévoilé au grand jour ses approximations et ses préjugés sur la réalité de l’Iran d’aujourd’hui.

« Je pense que si les Iraniens étaient libres, il porteraient des jeans, écouteraient de la musique occidentale et auraient de véritables élections. » Cette phrase, censée faire mouche auprès de la population, a au contraire provoqué une vague d’indignation. Furieux d’être ainsi caricaturés, nombre d’internautes iraniens ont réagi en postant sur la page officielle du Premier ministre israélien leurs photos en blue-jean. « Au fait, je suis iranien et oui, je porte des jeans, monsieur Netanyahou », a twitté @Divan_M.

« Armes de destruction massive »

Très vite, le dirigeant israélien s’est retrouvé au centre de toutes les moqueries. « Monsieur Netanyahou, voici un magasin d’armes de destruction massive », a écrit @iiriix, avec en pièce jointe la photo d’un magasin de jeans en Iran. @rooznameh a même publié le cliché d’un enfant en jean, chuchotant à l’oreille du Guide suprême iranien, l’ayatollah Khamenei.

Certains internautes ont saisi l’occasion pour dénoncer les agissements attribués à l’État hébreu en République islamique. Au-dessous d’un cliché représentant le scientifique nucléaire iranien Darioush Rezaei Nejad, retrouvé mort, et sa fille, @Teym0or écrit : « Netanyahou, tu n’as pas vu non plus ceux que tu as assassinés. »

Nombre d’Iraniens ont ainsi pointé le profond décalage entre la vision du Premier ministre et la réalité de la société iranienne. Si le pays possède depuis 1979 et l’avènement de la République islamique son lot d’interdits (alcool, boîtes de nuit, relation pré-maritales, jupes, etc.) et d’obligations (foulard, manteau), il n’est reste pas moins un pays majoritairement jeune (70 % des Iraniens ont moins de 40 ans) et ouvert sur l’Occident.

Coiffures exubérantes et cheveux peroxydés

Sa jeunesse urbaine, nationaliste, mais à la pointe de la technologie (avec un taux de pénétration d’Internet de plus de 40 %, l’Iran est le pays le plus connecté de la région), se joue de tous ces interdits. Ainsi, les grandes villes du pays voient se promener depuis une dizaine d’années, aux côtés des femmes en tchador noir, de véritables « top-modèles » aux coiffures exubérantes et aux cheveux peroxydés dépassant allègrement de part et d’autre du foulard islamique obligatoire.

Maquillées à outrance, certaines Iraniennes exploitent tant qu’elles le peuvent le maigre carcan de liberté dont elles disposent, et n’hésitent plus à le faire savoir sur la Toile, en publiant leur tenue au nez et à la barbe des autorités. Dernier vêtement à la mode à Téhéran, les leggings, ces caleçons moulants, fleurissent partout dans la capitale, comme le rapporte les site des Observateurs de France 24. Proscrits par la police de la capitale, ils sont depuis peu la cible des brigades des bonnes moeurs, qui n’hésitent pas à arrêter leurs propriétaires.

Micro-jupes, alcool et drogue

Malgré les interdits, les jeunes savent s’amuser. Dès la nuit tombée, Téhéran devient le théâtre de courses automobiles endiablées où les voitures des filles sont poursuivies par celles de leurs compatriotes masculins, qui, s’ils parviennent à leur hauteur, peuvent espérer décrocher le précieux Graal : le numéro de portable de ces dames. Les plus chanceux sont invités à des fêtes privées, où les micro-jupes, l’alcool et la drogue sont de la partie, la police pouvant être payée au préalable pour éviter tout désagrément.

Quant à la musique occidentale, si elle se limite à des tubes électro sans la moindre voix à la radio et à la télévision nationale, elle résonne allègrement et sans censure au coeur des véhicules, maisons et même coffee shops du pays. Les Iraniens proposent même leur propre scène de rap underground où des jeunes femmes n’hésitent pas à donner de la voix, une « hérésie » selon la République islamique.

Approximations géopolitiques

Mais après son opération de charme en direction des Iraniens, Benyamin Netanyahou revient à sa principale préoccupation : le programme nucléaire iranien. « Vous, les Perses, ne vous débarrasserez jamais de cette tyrannie si elle possède des armes nucléaires », souligne-t-il au cours de l’interview. Le soir même, il ajoute, lors d’un discours à l’université Bar-Ilan de Ramat-Gan, que « le but de l’Iran est de prendre le contrôle de tout le Moyen-Orient (…) et de détruire l’État d’Israël ».

Benyamin Netanyahou avait déjà tenu des propos similaires en octobre 2012, lors de sa venue en France, en précisant à l’époque que l’Iran voulait « recréer le califat islamique ». Un journaliste lui avait alors demandé si l’Iran, à travers son programme atomique, ne souhaitait pas avant tout asseoir son statut de puissance régionale. « L’Iran veut peut-être devenir une puissance régionale, mais c’est pour recréer un califat islamique et détruire l’État d’Israël », avait alors répondu Netanyahou. Une aberration, la notion de califat n’existant que dans le sunnisme.

Habileté

Des erreurs d’autant plus dommageables que, dans la même interview, Benjamin Netanyahou pointe habilement certaines contradictions du régime iranien. Ainsi, sur l’élection du nouveau président, Hassan Rohani, le Premier ministre israélien estime que, si elle « représente un désir de changement », elle n’a toutefois pas été « libre », « 700 candidats » ayant été éliminés du scrutin. De la même manière, Netanyahou fustige l’hypocrisie d’Hassan Rohani, qui tweete à tout va depuis son sacre, alors que son peuple, lui, ne peut en faire de même qu’en bravant la censure.

Jouant avec adresse sur la fibre sentimentale iranienne, Netanyahou rappelle la « brutalité » de la répression contre la population en juin 2009, à l’issue de la réélection contestée de l’ultra-conservateur Mahmoud Ahmadinejad. « Nous n’oublions pas. J’ai vu Neda sur le trottoir », dit-il avec émotion, en référence à cette manifestante abattue en pleine rue par les forces de sécurité iraniennes. Les images de sa mort, filmées à l’aide de téléphones portables, avaient fait le tour du monde. « Je l’ai vue s’étouffer dans son propre sang », souligne le Premier ministre. Peut-être aurait-il pu alors remarquer le jean que la jeune femme portait.

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