La crise de l’itinérance s’invite à Longueuil

Grégory Édouard, intervenant psychosocial à la Halte du coin, un refuge d’urgence qui a ouvert ses portes durant la pandémie dans une église désaffectée de Longueuil.
On les voit partout. Ils flânent sur des bancs de parc, dorment devant les bibliothèques ou sur des bouts de pelouse au coin des rues, promènent leurs maigres possessions dans des chariots de supermarché. L’itinérance prend de l’ampleur à Longueuil, où les prix des logements ont explosé dans la foulée de la pandémie.L’arrondissement du Vieux-Longueuil, situé à deux stations de métro du centre-ville de Montréal, semblait à l’abri de la crise du logement et de l’itinérance. Les terrasses bondées de la rue Saint-Charles et les maisons patrimoniales donnent un air festif au quartier. Quelques rues plus au sud, le visage du secteur a cependant changé au cours des derniers mois, constatent les résidents — dont certains se sont carrément retrouvés à la rue, incapables de se loger.« Tout le monde cherche un logement, mais les prix sont élevés. C’est rendu un fléau », dit en soupirant Dany Curadeau, un Longueuillois de 57 ans qui a eu la surprise de sa vie en devenant itinérant l’hiver dernier. « Je ne pensais pas que ça pouvait m’arriver », dit ce travailleur journalier, qui n’a pas l’allure d’une personne sans-abri. Avec ses bermudas, sa chemise et son chapeau de paille, il passe inaperçu dans le Vieux-Longueuil. Mais il revient de loin.Jusqu’à récemment, M. Curadeau joignait les deux bouts grâce à de petits boulots et à l’aide sociale. Lorsque son chèque a été amputé de 224 $ à cause de ses revenus d’emploi, il lui restait 483 $ par mois pour vivre. Il n’arrivait plus à payer le loyer. Il s’est fait expulser de son logement en plein froid hivernal.On le rencontre à l’Abri de la Rive-Sud, un refuge qui offre 37 lits, des repas et de l’accompagnement à des personnes en situation d’itinérance. L’organisme, situé dans un bâtiment anonyme pour ne pas attirer l’attention, est débordé : 130 personnes se trouvent sur une liste d’attente pour une chambre. La majorité de celles-ci sont de Longueuil, mais certaines arrivent de Montréal ou d’autres villes de la Montérégie.« Je suis chanceux d’avoir de l’aide », raconte-t-il. Avant d’avoir une place en refuge, il s’est résigné à dormir dehors en plein hiver, dans un coin sombre à l’abri des regards. Il a aussi habité temporairement chez son fils, qui a dû déménager en pleine crise du logement.Pour comble de malheur, M. Curadeau s’est fracturé le bassin en tombant de son lit ; il se déplace à l’aide d’une canne. L’homme de 57 ans voit tout de même la proverbiale lumière au bout du tunnel : il a trouvé une chambre à 500 $ par mois, libre à compter du 1er septembre. Un coup de chance, dans un marché où des chambres sont désormais offertes à 900 $ par mois.
Des gens « poqués »
« Notre but est de relocaliser les gens le plus rapidement possible. Pour briser le cycle de l’itinérance, plus vite on reloge la personne, mieux c’est », explique Lucie Latulippe, directrice générale de l’Abri de la Rive-Sud.Elle nous fait visiter le refuge. On comprend pourquoi l’endroit est aussi convoité : les 37 pensionnaires logent dans des chambres propres. Ils ont accès à des salles de bains avec douche. C’est tranquille. Une odeur de bonne bouffe émane de la cafétéria. Chaque étage est doté d’un petit salon avec balcon.Jusqu’à récemment, les pensionnaires restaient une dizaine de jours à l’abri. Leur séjour moyen varie désormais entre deux et trois mois : il faut chercher longtemps pour trouver un logement ou une chambre, explique Lucie Latulippe. Et les gens sont « poqués ». La plupart ont des problèmes de santé mentale. Certains consomment des drogues ou de l’alcool. Ils souffrent d’isolement.Photo: Valérian Mazataud Le DevoirLucie Latulippe, directrice générale de l’Abri de la Rive-Sud
« La pandémie a été un tournant. Il y a beaucoup de personnes qui étaient sur le bord de perdre l’équilibre, elles ont basculé », dit la gestionnaire.Une trentaine d’intervenants aident les clients à reprendre leur vie en main. À abandonner l’alcool ou la drogue. À trouver du travail ou un logement. Mais ce n’est pas facile de louer un appartement quand on habite une résidence pour personnes itinérantes. « Si les propriétaires ont le choix entre une étudiante à l’université et une personne qui sort de la rue, devinez à qui ils vont louer ? » demande une travailleuse sociale en soupirant.
La pandémie a été un tournant. Il y a beaucoup de personnes qui étaient sur le bord de perdre l’équilibre, elles ont basculé.— Lucie Latulippe
Les moyens du bord
« Les gens ont de très grands besoins, mais nos moyens sont limités », dit Grégory Édouard, intervenant psychosocial à la Halte du coin, un refuge d’urgence qui a ouvert ses portes durant la pandémie dans une église désaffectée de Longueuil.Le bâtiment est appelé à être démoli pour faire place à des logements sociaux. En attendant, le toit coule et l’électricité fait des flammèches. Il n’y a qu’une seule toilette (plus trois toilettes chimiques à l’extérieur). On ne trouve ici ni douche ni cuisine. Sous l’oeil de Jésus sur la croix, les intervenants font des miracles avec les moyens du bord pour aider les dizaines de personnes qui frappent chaque jour à la porte de la halte.Le soir, 20 lits de camp accueillent des pensionnaires dans l’église désaffectée. Ceux qui n’ont pas de place doivent déposer leur sac de couchage ailleurs — sur le bout de pelouse de l’autre côté de la rue, sur le parvis de la bibliothèque voisine ou dans un autre recoin de la ville.Dans ce quartier sans histoire où se côtoient maisons centenaires, bungalows et immeubles à logements (et à condos), la présence des personnes itinérantes ne passe pas inaperçue. Des gens ont été surpris à s’injecter de la drogue à l’arrière d’une crémerie. Des éducatrices hésitent à emmener les enfants dans certains parcs à cause de la présence d’hommes qu’elles trouvent louches.« Un matin, mon conjoint et moi, on a trouvé quelqu’un couché sur notre terrain. On ne savait pas s’il était mort ou vivant. On a appelé le 911 », raconte Josianne Brousseau, une mère de famille qui vit depuis 10 ans dans le Vieux-Longueuil. Elle adore le quartier malgré les cris de personnes désorganisées qui fusent parfois le jour ou la nuit. Malgré les vols occasionnels de vélo. Malgré l’insécurité de certains résidents face à l’itinérance. « C’est tranquille ici. On a de super bons voisins. Les personnes sans logement ont besoin de soins et de support », dit-elle.
LA MAIRIE EN ÉTAT D’ALERTE
La mairesse Catherine Fournier est préoccupée par la hausse de l’itinérance à Longueuil. La Ville et les organismes communautaires estiment qu’entre 250 et 800 personnes vivent en situation d’itinérance dans l’agglomération. Quelque 10 campements de personnes sans logement ont été identifiés en terres longueuilloises.« On voit que l’itinérance est en hausse importante à Longueuil », admet sans détour la mairesse Fournier. Avec un taux d’inoccupation de 1 %, les logements se font très rares. Et ils sont aussi chers qu’à Montréal, ou presque. Longueuil travaille sur un plan de lutte contre l’itinérance et sur une initiative visant à construire des logements abordables, insiste l’élue.La Ville a mis en place une brigade visant à faciliter la cohabitation entre les résidents et les personnes itinérantes, notamment dans le quartier de Coteau-Rouge, où est concentrée une série d’organismes d’aide.Catherine Fournier et son équipe cherchent un endroit où déménager la Halte du coin, logée dans l’église Notre-Dame-de-Grâce, qui doit être partiellement démolie pour laisser la place à des logements sociaux. Elle dit souhaiter que le refuge d’urgence soit relocalisé dans un autre secteur afin de mieux répartir l’aide aux personnes itinérantes.La mairesse insiste pour que Québec finance la construction du futur bâtiment et les coûts de fonctionnement de la halte. Elle interpelle aussi Ottawa, qui a une responsabilité dans l’aménagement de logements sociaux. L’Union des municipalités tiendra d’ailleurs un sommet sur l’itinérance à Québec en septembre, rappelle Catherine Fournier. Les villes comptent alors détailler la facture de cette problématique, qu’elles doivent gérer avec des moyens limités.

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